Lecture de Lettres de Poilus

Mise en voix de Lettres de Poilus par les élèves de 3e2 et 3e5 de Mme Faure

Publié le lundi 5 février 2018 22:19 - Mis à jour le vendredi 9 février 2018 12:09

Mise en voix de Lettre de poilus par les élèves de 3e2 et 3e5 de Mme Faure

René Jacob a été tué à Verdun en 1916. Il était fils de charron et lui-même boulanger à dans l’Yonne. Il laissait derrière lui sa femme Lucie, et trois enfants dont l’aînée avait huit ans.

 

1915

Comment décrire ? Quels mots prendre ? Tout à l’heure, nous avons traversé Meaux, encore figé dans l’immobilité et le silence, Meaux avec ses bateaux-lavoirs coulés dans la Marne et son pont détruit. Puis, nous avons pris la route de Soissons et gravi la côte qui nous élevait sur le plateau du nord… Et alors, subitement, comme si un rideau de théâtre s’était levé devant nous, le champ de bataille nous est apparu dans toute son horreur. Des cadavres allemands, ici, sur le bord de la route, là dans les ravins et les champs, des cadavres noirâtres, verdâtres, décomposés, autour desquels sous le soleil de septembre, bourdonnent des essaims de mouches ; des cadavres d’hommes qui ont gardé des pauses étranges, les genoux pliés en l’air ou le bras appuyé au talus de la tranchée ; des cadavres de chevaux, plus douloureux encore que des cadavres d’hommes, avec des entrailles répandues sur le sol ; des cadavres qu’on recouvre de chaux ou de paille, de terre ou de sable, et qu’on calcine ou qu’on enterre. Une odeur effroyable, une odeur de charnier, monte de toute cette pourriture. Elle nous prend à la gorge, et pendant quatre heures, elle ne nous abandonnera pas.

Au moment où je trace ces lignes, je la sens encore éparse autour de moi qui me fais chavirer le coeur. En vain le vent soufflant en rafales sur la plaine s’efforçait-il de balayer tout cela : il arrivait à chasser les tourbillons de fumée qui s’élevaient de tous ces tas brûlants ; mais il n’arrivait pas à chasser l’odeur de la mort. « Champ de bataille », ai-je dit plus haut. Non, pas champ de bataille, mais champ de carnage. Car les cadavres ce n’est rien. En ce moment, j’ai déjà oublié leurs centaines de figures grimaçantes et leurs attitudes contorsionnées.

Mais ce que je n’oublierai jamais, c’est la ruine des choses, c’est le saccage abominable des chaumières, c’est le pillage des maisons …

René Jacob

 

 

 

 

 

 

 

 

Maurice Maréchal avait 22 ans en 1914. Après la guerre, il deviendrait l’un des plus grands violoncellistes du monde. Entre 1914 et 1919, il fut soldat de 2e classe et agent de liaison.

 

Dimanche 2 Août
Premier jour de la mobilisation générale. Hier matin j'ai pris la résolution d'agir en Français !

Je rendais mes cartons à la Musique, quand je me suis retourné machinalement sur la ville, la cathédrale vivait, et elle disait :  «  Je suis belle de tout mon passé. Je suis la Gloire, je suis la Foi, je suis la France. Mes enfants qui m'ont donné la Vie, je les aime et je les garde. » Et les tours semblaient s'élever vers le ciel, soutenues seulement par un invisible aimant. Et Meyer me dit :  « Vois-tu des boulets dans la cathédrale? » J'ai été à l'infirmerie, je serai du service armé et si on touche à la France, je me battrai. Toute la soirée, des mères, des femmes sont venues à la grille. Les malheureuses ! Beaucoup pleuraient, mais beaucoup étaient fortes. Maman sera forte, ma petite mère chérie, qui est bien française, elle aussi! J'ai reçu sa lettre ce matin, dimanche. Ici, je te confie un secret, carnet, elle contenait cette lettre, une lettre d'une jeune fille qui aurait peut-être pu  remplacer Thérèse un jour. Si je pars et si je meurs, je prie ma petite mère de lui dire combien j'ai été sensible à sa lettre de courage, dans sa grâce ; combien je la remercie des bonnes paroles que j'ai vraiment senties être d'une amie. Je suis sorti ce matin prendre du linge, poser mon violoncelle chez Barette. J'ai écrit à petite mère. Je ne peux pas écrire à tous, mais je pense pourtant à tous nos amis.
Maurice Maréchal

 

 

 

 

 

Gaston Biron avait 29 ans en 1914. Après de solides études, il était devenu interprète, et la guerre avait fait de lui un soldat appartenant au 21ème bataillon de chasseurs à pied. Ses parents étaient d'origine auvergnate, et exerçaient une activité de grossistes en produits laitiers dans la région parisienne. Gaston était le seul frère de six sœurs : Berthe, Hélène, Blanche, Marguerite, Madeleine et Marie. Blessé le 8 septembre 1916, il mourut de ses blessures le 11 septembre à Chartres.

Samedi 25 mars 1916 (après Verdun)

Ma chère mère,

[ …] Par quel miracle suis-je sorti de cet enfer, je me demande encore bien des fois s'il est vrai que je suis encore vivant ; pense donc, nous sommes montés mille deux cents et nous sommes redescendus trois cents ; pourquoi suis-je de ces trois cents qui ont eu la chance de s'en tirer, je n'en sais rien, pourtant j'aurais dû être tué cent fois, et à chaque minute, pendant ces huit long jours, j'ai cru ma dernière heure arrivée. Nous étions tous montés là-haut après avoir fait le sacrifice de notre vie, car nous ne pensions pas qu'il fût possible de se tirer d'une pareille fournaise.

Oui, ma chère mère, nous avons beaucoup souffert et personne ne pourra jamais savoir par quelles transes et quelles souffrances horribles nous avons passé. A la souffrance morale de croire à chaque instant la mort nous surprendre viennent s'ajouter les souffrances physiques de longues nuits sans dormir : huit jours sans boire et presque sans manger, huit jours à vivre au milieu d'un charnier humain, couchant au milieu des cadavres, marchant sur nos camarades tombés la veille ; ah ! J'ai bien pensé à vous tous durant ces heures terribles, et ce fut ma plus grande souffrance que l'idée de ne jamais vous revoir.

Nous avons tous bien vieilli, ma chère mère, et pour beaucoup, les cheveux grisonnants seront la marque éternelle des souffrances endurées ; et je suis de ceux-là. Plus de rires, plus de gaieté au bataillon, nous portons dans notre cœur le deuil du 5 au 12 mars. Est-ce un bonheur pour moi d'en être réchappé ? Je l'ignore mais si je dois tomber plus tard, il eût été préférable que je reste là-bas. Tu as raison de prier pour moi, nous avons tous besoin que quelqu'un prie pour nous, et moi-même bien souvent quand les obus tombaient autour de moi, je murmurais les prières que j'ai apprises quand j'étais tout petit, et tu peux croire que jamais prières ne furent dites avec plus de ferveur.
[ …]

Ton fils qui te chérit et t'embrasse un million de fois.
Gaston.


 

 

 

 

 

 

 

Joseph Thomas était agriculteur et habitait Saint-George-d'Espéranche. Cette lettre était destinée à son fils âgé de quinze mois. Joseph n'avait plus que huit mois à vivre puisqu'il fut tué le 30 mars 1916 à Verdun.

5 août 1915

A mon petit Armand

Tu es encore bien jeune et ne peux comprendre ce qui se passe en ce moment : la guerre, ses horreurs, ses souffrances. Cette carte sera un souvenir de ton père, et il souhaite qu'à l'avenir les hommes soient meilleurs, et que semblable chose ne puisse plus arriver. Que jamais tu n'aies besoin, et sois forcé, de mener la vie que je subis en ce moment en compagnie de beaucoup de papas qui ont laissé, comme moi, de petits anges chez eux.
Pour t'élever, tu te trouves d'être bien pénible, mais tu te rattraperas de cela en étant dans quelques années un petit garçon bien gentil et obéissant. Le moment venu, je serai sûrement auprès de toi pour te diriger, mais si mon espoir était déçu, en mémoire de ce père que tu n'auras pas connu, redouble de gentillesse pour ta mère et pour ceux qui t'élèveront. Devenu un homme, sois du nombre de ceux qu'on appelle les honnêtes gens. Sois bon pour ton prochain, ne fais pas ce que tu ne voudrais pas qu'il te fût fait. Vénère ta mère ; sois pour elle un soutien véritable.
Rappelle-toi aussi que le vrai bonheur ne se trouve pas dans la richesse et les honneurs, mais dans le devoir vaillamment accompli, ainsi que les bonnes actions.
Si le destin te donne des épreuves à subir, sois courageux et tu les surmonteras, mais si par malheur tu te laisses entraîner par le vice, les passions, relis vite mes conseils, ne te laisse pas aller à la dérive. Il n'y a que le premier pas qui coûte ; une fois entraîné par le courant, on roule de chute en chute, et il arrive qu'on ne peut plus se relever. C'est trop tard. Alors, arrivé à ce point, la vie est finie. Gâchée par sa faute. Et on est plus bon qu'à être la risée, ou montré du doigt par tout le monde, suivant le penchant qui a perdu l'homme.
J'espère n'avoir pas à rougir de toi car je sens que tu suivras le chemin de l'honneur.
En attendant de pouvoir te choyer et caresser, je te fais, mon petit fanfan, de grosses bises.